LES
CARRIERES DE PARIS
De
l'époque romaine au Moyen-Âge, l'exploitation de carrières
à ciel ouvert avait suffi pour fournir les matériaux
nécessaires à la construction de la cité. Paris était
alors de taille modeste et même s'il existait déjà
des édifices assez importants, le besoin en pierres ne justifiait
pas des exploitations plus importantes (Il y avait aussi le fait que les
pierres des constructions romaines avaient également été
réutilisées).
Lors de l'essor démographique
de l'occident médiéval, tout change vers les XIIe et XIIIe
siècles. Philippe Auguste (1180-1223) développe alors considérablement
la capitale. En parallèle à cette extension de la ville,
de nombreux chantiers sont déjà en cours et nécessitent
une quantité importante de matériaux, La cathédrale
Notre-dame depuis 1163, le rempart et le château du Louvre depuis
1180. Cette forte demande décupla la production de roche à
Paris. Il fallut par conséquent entailler d'avantage le coteau
et les carriers ont préféré poursuivre l'exploitation
de la roche en souterrain. Ainsi les terres cultivables étaient
préservées en un temps où elles étaient très
recherchées.
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Exploitation
d'une carrière à ciel ouvert |
Les carriers ouvraient
des bouches de cavage dans le front de taille des carrières
à ciel ouvert. A partir de là, ils exploitaient des
réseaux de galeries pratiquement parallèles et se recoupant.
Ils isolaient ainsi des masses de pierre à l'intersection des galeries,
appelés piliers tournés, qui supportaient le ciel
de la carrière.
L'abattage de la
pierre avait lieu en trois étapes : le souchevage (Le
bloc était sapé et coupé par en dessous avec un marteau
appelé "esse" pour le séparer du banc inférieur)
ensuite intervenait le déférmage (Le carrier creusait
de chaque coté du bloc des tranchés verticales de même
profondeur que le souchevage) finalement le carrier plaçait des
coins en fer sur le dessus du banc à abattre et frappait ces coins
avec une masse pour détacher le bloc. Une fois ce banc abattu,
le carrier le façonnait aux dimensions demandés par le constructeur,
c'est ce qu'on appelait la première taille. Il ne restait plus
qu’à charger le bloc sur un chariot attelé et le conduire
par la voie de roulage hors de la carrière, vers le cavage. Ces
ateliers de carrière étaient assez hauts (4m sous le Val
de Grâce) mais en arrière du front de taille les galeries
étaient encombrées de déchets d'exploitation, par
conséquent les galeries de circulation étaient rarement
plus hautes que 2m.
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Exploitation
par piliers tournés et entrée en cavage |
Ces
premières carrières souterraines restaient étroitement
liées aux anciennes carrières à ciel ouvert
et constituaient leur prolongement. Au milieu du XIIIe siècle est
apparue la technique d'exploitation dite à rampe inclinée.
Au lieu d'exploiter le calcaire la ou il affleure on creusait des tranchées
inclinées descendant aux niveaux exploitables. Les Chartreux
semblent avoir été les premiers à utiliser cette
technique lorsqu'ils édifièrent leur monastère (qui
se situait à l'emplacement actuel du jardin du Luxembourg). Cette
technique de rampe inclinée nécessitait une surface au sol
importante ainsi qu'un fort investissement humain et financier. Seuls
le roi, les seigneurs et les communautés religieuses pouvaient
se permettre de faire ouvrir de telles carrières pour la construction
de divers bâtiments (Monastère des Chartreux, Hôtel
Dieu...). Cette technique resta "à la mode" jusqu'au
XIVe siècle.
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Exploitation
par rampe inclinée |
Vers la fin du XIVe
siècle une autre technique fit son apparition, dans un premier
temps dans les endroits où la place manquait pour ouvrir une exploitation
à accès en rampe inclinée. C'est la technique
des puits d'extraction. De cette façon les carrières
souterraines sous de petites propriétés foncières
se développèrent dans les seigneuries. C'est également
à cette époque où les exploitations progressaient
vers le sud que quelques carriers entamèrent l'exploitation, sous
le banc vert, du banc des lambourdes au niveau inférieur grâce
à des puits traversant le niveau supérieur déjà
exploité.
L'exploitation des
carrières par piliers tournés pressentait un inconvénient
majeur, l'obligation de perdre une partie assez importante du calcaire
dans les piliers de soutien (taillés dans la masse). La technique
dite d'exploitation par hague et bourrage supprimait cet inconvénient.
On extrayait toute la roche sans laisser de piliers et pour soutenir le
ciel de la carrière, les carriers comblaient la cavité au
fur et à mesure avec les bancs médiocres et les déchets
de taille, ce sont les bourrages. Pour faire tenir ces remblais ils montaient
en même temps des murets de pierre sèche nommés hagues.
Pour bien caler le ciel ils montaient également des piliers de
gros blocs empilés à bras d'homme, les piliers à
bras. Il n'était plus nécessaire avec cette technique
de garder de grandes hauteurs d'exploitation, les ateliers des carriers
atteignirent 1m80 et bien souvent moins. Toutes ces carrières étaient
accessibles à l'aide de puits équipés de treuils
de carrière à grande roue. Cette technique d'exploitation
fut utilisée du XIVe siècle jusqu'en 1860. Cette grande
roue permettait à un homme seul de 80Kg de remonter un bloc de
plusieures tonnes par le puits d'extraction (un moment important est obtenu
avec une faible force exercée sur un levier suivant la relation
: M=l.F) cependant l'homme actionnant la roue devait parcourir l'équivalent
de 250m d'échelons pour faire remonter un bloc sur 18m. Ce travail
était harassant.
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Technique
du puits d'extraction |
Paris s'agrandissant,
les anciennes carrières qui n'étaient plus exploitées,
situées au centre du Paris actuel, ont été recouvertes
par l'étendue urbaine. Leur existence a été oubliée
de tous jusqu'au XVIIIe siècle où nombre d'affaissements
de terrain dans Paris ont fait prendre conscience du danger que représentaient
ces anciennes exploitations pour la stabilité du sol. En 1777 l'IDC
(Inspection Des Carrières) est crée. Son rôle est
de répertorier, sonder et consolider les vides laissés par
les carrières.
Ce que de nos jours
on appelle catacombes de Paris sont en majorité des galeries d'inspection
et de consolidation de l'IGC reliant les différentes carrières,
ce réseau de galeries s'étend sur 300km environ, on peut
le découper principalement de ce cette manière :
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100km sous le XIVe, XVe, VIe et Ve arrondissements de Paris
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25km sous le XIIIe arrondissement
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7km sous le XVIe arrondissement
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350m sous le XIIe arrondissement
Sans compter les
petits réseaux au nord de la seine dans les carrières de
gypse (au sud le calcaire).
Officiellement
ces galeries ne sont pas accessibles pour le commun des mortels, seul
l'ossuaire officiel est visitable mais il ne représente qu'une
infime partie du réseau parisien (1.7 KM). Pour tous les autres
il reste encore quelques entrées connues de quelques uns qui permettent
d'accéder à la "totalité" du réseau.
Cependant à notre époque ce grand réseau a tendance
à très fortement diminuer. Les injections de l'IGC qui coupent
l'accès à certaines galeries et parties du réseau
se multiplient, Les puits d'accès sont soudés, les échelons
sont sciés. Les constructions d'immeubles détruisent de
grandes zones (ex : une partie du réseau s'étendait à
l'endroit ou a été construite la tour Montparnasse, maintenant
la zone est complètement injectée).
Ce lieu mériterait
d'être mis en valeur, préservé rien que pour sa valeur
historique. Certaines galeries sont pluri centenaires, on peut y voir
encore des épures tracées sur les murs par les carriers.
Les galeries les plus anciennes sont des merveilles d'architecture. Sans
oublier que ce lieu a été le théâtre d'événements
historiques : La résistance l'utilisait pour éviter les
patrouilles nazies pendant la guerre, ils y avaient même un Poste
de Commandement sous la Place Denfert-Rochereau à partir duquel
le colonel Rol-Tanguy et l'état major des FFI coordonna la libération
de Paris en Août 1944. Les nazis et la Luftwaffe y avaient un bunker
sous le Lycée Montaigne et la Faculté de Pharmacie, sans
oublier les contrebandiers qui s'en servaient comme dépôts
et comme chemin pour faire passer leurs cargaisons sous la barrière
d'octroi. Pendant mai 68 certains manifestants s'en sont servis pour passer
sous les bottes des CRS.
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